
On nous dit depuis vingt ans que la musique est en crise. Faux.
Ce n’est pas la musique qui est en crise, c’est le business qui l’entoure.
« Il n’y a pas de crise de la musique. Juste parce que le CD n’est plus la norme, tout d’un coup, c’est une crise pour Sony. Ce n’est pas ma crise. Le public est là quand je joue. Tout le monde écoute de la musique. »
— Richard Bona
En tant qu’ingénieur du son et créateur avec 27 ans d’expérience dans l’industrie musicale, j’ai été témoin privilégié de cette prétendue « crise ». Ce que j’ai observé sur le terrain contredit radicalement le narratif officiel.
Le mensonge des chiffres
Contrairement au discours dominant, la musique n’a jamais été autant consommée. En 2023, les plateformes de streaming ont généré plus de 17 milliards de dollars de revenus mondiaux, soit une croissance de 10% par rapport à 2022. Spotify comptabilise 500 millions d’utilisateurs actifs, Apple Music 100 millions d’abonnés. Les festivals affichent complet, les concerts se multiplient.
La vraie question n’est donc pas : « Pourquoi la musique ne marche plus ? », mais : « Où va cet argent ? »
L’inversion historique des rapports de force
Historiquement, les créateurs occupaient le centre de l’écosystème musical. Des mécènes et producteurs misaient sur une vision artistique. Aujourd’hui, cette hiérarchie s’est inversée : l’artiste est devenu un employé déguisé dans un système qui l’a dépossédé de son pouvoir économique.
Richard Bona illustre cette aberration avec une métaphore implacable :
« Les musiciens sont les seules personnes qui, une fois qu’ils ont fini de produire, arranger, payer le studio et les musiciens, appellent quelqu’un d’autre pour aller vendre leur travail et recevoir des royalties plus tard. Apple ne construirait jamais un iPhone pour ensuite demander à quelqu’un d’autre de le vendre à leur place. »
Cette dépendance artificielle transforme les créateurs en éternels demandeurs, alors qu’ils produisent la matière première de toute l’industrie.
Les profiteurs silencieux
L’industrie ne se limite pas aux majors et aux plateformes de streaming. Autour de l’artiste gravite un écosystème de prestataires — propriétaires de salles, sociétés de sonorisation, loueurs de matériel, fournisseurs de studios — qui captent une part importante de la valeur sans jamais prendre de risques réels.
Une salle loue ses murs, une société technique loue ses micros et ses enceintes, un studio facture son temps. Le risque est calculé, limité, et souvent garanti d’avance. Résultat : ces intermédiaires peuvent générer des revenus supérieurs à ceux de l’artiste lui-même.
Une salle peut vivre un mois sans projecteurs. Mais sans artistes, elle ne vit pas une seule soirée.
Sans matière première — sans musique, sans créateurs — que restera-t-il à louer ou à diffuser ? L’absurdité est totale : l’écosystème fait prospérer ceux qui fournissent l’infrastructure, mais appauvrit ceux qui créent le contenu.
La précarité par design
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis 1995, le coût de la vie a augmenté de 60% en moyenne dans les grandes villes françaises. À Paris, un ticket de métro coûtait 4,25 francs (0,65 €) en 1995, il coûte aujourd’hui 2,15 € — soit une multiplication par 3,3. Les loyers ont suivi la même courbe.
Pendant ce temps, les cachets des musiciens stagnent. Un technicien son démarrait à 150€ la prestation il y a 25 ans, souvent au noir faute d’employeurs déclarant correctement. Aujourd’hui ? Même tarif, ou presque. Mécaniquement, les professionnels de la musique s’appauvrissent.
Cette stagnation n’est pas accidentelle : elle révèle un système pensé pour maintenir les artistes dans la précarité, donc dans la dépendance.
L’image dégradée du créateur
Ce faux narratif de crise produit un effet pervers : il dévalue symboliquement le travail artistique. Dans l’esprit public, l’artiste devient un « fournisseur gratuit », quelqu’un qui « est là pour ça », qui doit donner sans compter par pure vocation.
Cette perception transforme la création en loisir, l’artiste en amateur éclairé. Résultat : le public finit par considérer normal qu’un musicien joue gratuitement « pour se faire connaître », qu’un compositeur cède ses droits « pour l’exposition », qu’un technicien travaille au rabais « par passion ».
Des modèles alternatifs émergent
Pourtant, certains créateurs reprennent le contrôle. Chance the Rapper a refusé tout contrat de label et financé ses projets par crowdfunding, générant des millions directement. En France, des collectifs comme Believe ou IDOL permettent aux artistes de garder leurs droits tout en bénéficiant d’une distribution professionnelle.
Les outils existent : plateformes de financement participatif, vente directe via Bandcamp, abonnements fans sur Patreon, NFT musicaux. Ces alternatives recentrent l’artiste dans son rôle d’entrepreneur créatif.
Remettre les rôles à l’endroit
La réalité économique est simple : sans créateurs, tout s’effondre. Pas de musiciens, pas de salles, pas de sonorisation, pas d’industrie. L’artiste produit la valeur, les autres la distribuent.
Cette hiérarchie doit se refléter dans les rapports économiques : managers, producteurs, agents et salles travaillent pour l’artiste, pas l’inverse. Reconnaître cette évidence, c’est sortir du piège de la dépendance structurelle.
Conclusion : une industrie à reconstruire
Il n’y a pas de crise de la musique. La musique se porte bien, merci.
La crise concerne un modèle industriel obsolète qui s’accroche à ses privilèges en maintenant les créateurs dans l’illusion de leur dépendance.
La vraie révolution ne viendra ni des majors ni des plateformes, mais des artistes eux-mêmes, quand ils reprendront conscience de leur position centrale.
Sans matière première, pas d’industrie. Et dans la musique, la matière première, ce sont eux.
L’avenir de la musique ne se joue pas dans les bureaux des grandes corporations, mais dans la capacité des créateurs à redevenir maîtres de leur art.
Franchement super, j’en parle souvent à un ami musicien.
C’est exactement notre démarche mais ce n’est pas facile.
On est seul et on fait face à un système de penser.
déja entre nous artistes, nois devrions nous mettre d’accord.